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Lancée il y a cinq ans, la Bouquinerie du Sart à Villeneuve d’Ascq accueille des salariés en réinsertion. Au terme de leur contrat, la promesse d’une nouvelle vie et un travail. Immersion au cœur de cette librairie solidaire.

Jeudi, 9h40. Villeneuve d’Ascq. Devant la porte de la Bouquinerie cachée dans un renfoncement, ils sont déjà une dizaine à attendre l’ouverture. Dans leurs mains, des sacs en toile, des cabas de course ou plus singulier encore, des piles de livres. Les quelques clients s’échangent des conseils : « Je les ai lu la semaine dernière ceux-là. Je viens les rendre pour en acheter de nouveau, ça permet de faire tourner le stock sans prendre de la place ». Parmi les quelques clients présents ce matin-là, c’est la différence d’âge qui frappe le plus. Les étudiants précèdent les plus anciens, accompagnés de leurs petits-enfants.

 

10h. Un tour de clé dans la serrure agite le petit groupe. Après quelques minutes d’attente, la bouquinerie ouvre ses portes. « Bienvenue à la Bouquinerie ! », le sourire de Mathilde, employée à la bouquinerie, invite les clients à entrer. A l’intérieur, chacun choisit son camp : Les enfants foncent sur les albums jeunesse, les plus âgés feuillettent déjà les livres historiques et les ados parcourent les rayonnages à la recherche d’une pépite littéraire. A première vue, la Bouquinerie ressemble à beaucoup d’autres librairies. Des livres, CD et DVD triés par ordre alphabétique, soigneusement rangés sur des étagères en bois ou des îlots confectionnés à partir de palette de bois recyclés.

Mais à y regarder de plus près, des détails sautent à l’œil : cornures, tache de café ou encore annotations sur les bords des pages… Des traces du passé laissées par les anciens propriétaires. Ici tous les livres sont d’occasions, déposés par des particuliers dans des box de collectes répartis sur toute la métropole lilloise. Ronchin, Valenciennes, Villeneuve d’Ascq, Wambrechies… En tout, près de 100 boîtes de collectes sont réparties sur la métropole lilloise. « Tous les jours, nous récupérons environ 5000 livres. Lorsqu’ils ne sont pas en bon état, nous les confions à l’entreprise Elise qui se charge de les recycler. Pour le reste, cela se passe dans notre atelier », nous explique Domitille Widmaier, responsable commercial de la Bouquinerie, « L’avantage, c’est qu’il y en a vraiment pour tout le monde et pour toutes les bourses ! ».


Ici, pas de prix unique du livre. Les bouquins sont à emporter aux prix de 2 ou 3€. « Comment ne pas craquer ! », nous glisse un client.

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Réapprendre à travailler

Si le silence règne dans la petite librairie - chacun ayant le nez plongé dans sa lecture - a quelques pas de là, dans l’atelier, les équipes s’affairent. Sous les « BIP » bruyant des machines, les conversations entre les bénévoles se font entendre : « On se rejoint à midi dans la salle de pause ? ». Si l’ambiance est détendue entre les salariés, le travail, lui, est pris très au sérieux.

Ici, toutes les personnes qui travaillent sont en réinsertion. Un contrat d’un an à mi-temps qui permet de remettre le pied à l’étrier. « Allez les gars, au boulot, on a pas mal de commandes à préparer aujourd’hui ». L’homme à l’origine de ce projet solidaire, c’est lui, Vianney Poissonnier. En 2015, il crée la bouquinerie du sart. Le but : proposer un emploi aux personnes sans logement qui sont hébergés en centre d’hébergement sur la métropole lilloise. « On s’est rendu compte qu’il y avait un vrai problème dans ces centres qui étaient souvent engorgés. Avec ce job à la Bouquinerie, ils remettent le pied dans le monde salarial et nous les accompagnons vers un mode de vie de plus en plus autonome. »

La bouquinerie c’est comme une école. Tout au long de leur année en réinsertion, les personnes accompagnées sont amenées à travailler sur trois grands thèmes : devenir bon camarade, fiable et pro.


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Ces items sont les fondamentaux pour pouvoir retrouver du travail”, explique Marine, responsable formation à la bouquinerie, “Être fiable par exemple cela veut dire qu’il faut être à l’heure tous les matins, savoir respecter les consignes données ou encore être volontaire pour une tâche. » Un programme d’apprentissage qui est aussi une condition pour obtenir le précieux sésame qu’ils sont tous venus chercher ici.

 

Vianney jette un coup d’œil à un mur rempli de cadres. Une douzaine de diplômes et autant de personnes en réinsertion ayant retrouvé un travail après leur passage à la bouquinerie. Aide-soignante, mécanicien ou encore plombier… Diplôme en poche, les anciens bénéficiaires ont presque tous trouvé un travail. « Ils arrivent le plus souvent avec une idée en tête ou une envie de métier. Notre objectif, c’est de les accompagner pas à pas pour trouver une formation adaptée, qu’ils suivront en parallèle de la formation ».

 

Une seconde famille

12h. La bouquinerie ferme ses portes aux clients pour quelques heures. Les équipes se retrouvent dans la petite salle de pause. « Tiens, donne-moi les chaises là-bas », un banquet de fortune s’organise. Autour des tables, toutes de tailles différentes, on se passe les plats de main en main, on parle fort et on rigole de bon cœur. « C’est tous les midis comme ça, pas besoin d’occasion particulière à la bouquinerie ! », lance quelqu’un.

 

Parmi les personnes attablées ce midi-là, il y en a un qui se fait plus discret. Dans son coin, Ahmed écoute d’une oreille attentive les conversations de ses collègues. Originaire de la Guinée, il est un des derniers à avoir rejoint la bouquinerie. Quand il est arrivé, il ne parlait pas bien le français. Avec ses collègues, il apprend quelques mots. « Pour se débrouiller et communiquer », comme il dit.

 

« Mon rêve, c’est d’avoir le même parcours que les gens sur le mur. Comme Abdi ». Un rêve avoué du bout des lèvres. « Je veux devenir électricien. Si je travaille bien ici, je pourrais entamer ma formation ». Une chance d’être à la bouquinerie et de retrouver le plaisir de travailler.

 

« Je vais vous montrer quelque chose”. A l’écart des festivités, Ahmed nous présente un mur rempli de gribouillis. Une fleur dessinée au crayon bleu. Un livre ouvert duquel s’échappent quelques mots : « Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi », « Je ne vous oublierai jamais », « Long live la bouquinerie ! ». Des témoignages éphémères, des encouragements, des mots d’espoirs et autant de souvenirs qui imprègnent les murs de la Bouquinerie. « Je sais déjà ce que moi je vais écrire », nous confie Ahmed. Pourtant, il ne nous en dira pas plus pour l’instant.

 

Une manière de ne pas conjurer le sort. Dans quelques mois, les mots d’Ahmed rejoindront peut-être ceux de ses anciens camarades.

Léna Fontaine

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